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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Interview: ma démarche, la Syrie, le pouvoir

Publié le 11 Décembre 2013 par Paul Quilès in Réflexions à haute voix

       Au début du mois de novembre, j'ai été interviewé par une revue étudiante, qui m'a posé 3 questions. Voici mes réponses, qui viennent d'être publiées:.

 

      - La première décrit ma démarche vers un engagement en faveur du désarmement nucléaire.

 

       - La seconde tire des enseignements de la crise autour de l'armement chimique syrien ..... sujet dont on parle moins depuis quelque temps!

 

       - La troisième est une courte réflexion sur la fameuse contradiction entre "conquête" et "exercice" du pouvoir.

 

****************

 

I-  Dans vos 2 récents livres “Nucléaire, un mensonge français” et “Arrêtez la bombe”, vous plaidez pour l'abandon de l'arme nucléaire. En quoi l'armement nucléaire est-il caduc ? Quand en avez-vous pris conscience ?

 

       En 1985, lorsque je suis devenu Ministre de la défense, nous étions dans la période de la Guerre froide. Chaque partie menaçait l’autre de destructions massives de manière à la dissuader de toute action militaire directe. La théorie de la dissuasion pouvait alors justifier l’armement nucléaire. Depuis, j’ai constaté que les doctrines avaient évolué entre 1945, date des premières bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki et 1989, fin de la Guerre froide. A chaque fois, il s’agissait de répondre à des nécessités déclarées évidentes.

 

       Par la suite, j’ai découvert que la dissuasion aurait pu échouer. Nous sommes passés très près d’une catastrophe nucléaire en 1983. Le langage de la dissuasion m’est apparu comme un discours qui intoxique les dirigeants eux-mêmes. J’ai vu dans les décisions relatives aux systèmes d’armes, notamment nucléaires, l’effet d’un complexe militaro-industriel, dénoncé par Eisenhower dès 1961, lorsqu’il a quitté la Maison-Blanche. Il ne s’agit pas d’un complot mais d’un système. Les industriels veulent des commandes. Les techniciens, les chercheurs et les conseillers défendent leurs travaux et leurs théories. Les militaires demandent des armes toujours plus puissantes. Faute de débat public contradictoire, tous ces acteurs persuadent les décideurs que leurs solutions sont les seules possibles.

 

       Dès 1995, lorsque, comme député, je suis intervenu au nom du groupe socialiste pour dénoncer la reprise des essais nucléaires dans le seul grand débat jamais organisé à l’Assemblée nationale sur la dissuasion nucléaire, j’ai conclu par les mots : « L’ère de la désescalade nucléaire a commencé ».

 

       Entre 1997 et 2002, je suis allé plus loin en tant que Président de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Quand il a été question de moderniser les missiles des sous-marins nucléaires lance-engins, j’ai mis en doute la nécessité du programme au vu de son coût (plus de 10 milliards d’euros). On m’a répondu : « On ne discute pas ! ». Ce refus du débat persiste, alors que la situation stratégique n’a plus rien à voir avec celle des origines de la dissuasion. La multiplication des interrogations et l’absence de toute réponse argumentée et convaincante font réfléchir un nombre croissant de personnes.

 

       En 2002, j’ai parlé d’une "nouvelle ligne Maginot". Le nucléaire est un formidable investissement technologique. Pourtant, le 11 septembre 2001, la dissuasion nucléaire n’a rien arrêté ! Le Missile M-51 tire à 9000 kilomètres. Est-ce une garantie d’influence pour la France ? Quelles sont ses cibles potentielles ? La Chine ? La Corée du Nord ? La réponse habituelle est : « Non. C’est une arme faite pour parer à tous les risques, même ceux dont on ne sait encore rien ». C’est l’aveu même que l’on se dote d’armes sans idée claire de leur nécessité.

 

       Aujourd’hui comme hier, la défense nationale est un enjeu démocratique essentiel. Lorsque Jean Jaurès a écrit l’Armée Nouvelle en 1911, il demandait une politique de paix et de désarmement, mais il n’entendait pas pour autant diminuer la capacité de la France à défendre ses intérêts légitimes et ses valeurs démocratiques. La question est de savoir comment se protéger des menaces et des risques d’aujourd’hui. L’arme nucléaire est-elle un atout stratégique ou un danger ? Avec mes amis de l’association ALB (“Arrêtez la bombe!”), je considère que la présence dans le monde d’arsenaux nucléaires en constante modernisation et les tentations de prolifération qui en résultent constituent de graves dangers.

 

 

II-  Le plan de sortie à la crise syrienne proposé par la Russie, qui consiste, sous supervision de l’ONU, à sécuriser l’arsenal chimique de Damas, est-il satisfaisant ? Est-ce, comme on a pu le lire ou l'entendre, un camouflet pour Paris ? Au cours de cette nouvelle crise internationale, le Conseil de sécurité de l'O.N.U. a été paralysé par les vetos chinois et russes. Laurent Fabius a prôné la renonciation au droit de veto en cas de "crime de masse", ce qui pose la question de la définition juridique d'un "crime de masse". Qu'en pensez-vous ?

 

       L’évolution des relations entre dirigeants américains et iraniens, ainsi que le vote par le Conseil de sécurité unanime de la résolution 2118 (qui encadre la destruction de l'arsenal chimique syrien) semblent indiquer qu’une voie pour un règlement politique commence à se dégager au Moyen Orient. Tout n’est pas réglé pour autant, En Syrie, la guerre sanglante continue et la liste des horreurs s’allonge; en Iran, la “modération” d’Hassan Rohani ne fait pas disparaître les difficultés de la négociation à venir sur le nucléaire.

 

       Malgré cela, je me félicite que cette voie ait été choisie par les diplomaties américaine, russe et iranienne, parce qu’elle peut éviter au Moyen Orient et à la paix du monde des enchaînements guerriers aux conséquences extrêmement graves. C’est la voie que je propose sans relâche depuis des années, ce qui m’a amené à faire 4 remarques, en forme d’enseignements dans la séquence que nous venons de vivre.

 

       1) Dans une période de crise internationale aigüe, un pays comme la France, qui n’a pas la puissance des Etats-Unis, peut néanmoins jouer un rôle de “facilitateur”, de “défricheur”, à condition de proposer des solutions répondant aux problèmes de fond, de ne pas se limiter à des réactions faisant une trop grande part à l’émotion et d’éviter de se contredire dans les déclarations, les postures et les menaces.

 

       Dès le 28 août 2013, j’ai demandé publiquement que la France, dépositaire du protocole de 1925 interdisant l’emploi des gaz de combat et initiatrice de la Convention de 1993 d’élimination de l’arme chimique, fasse entendre sa voix, en présentant rapidement une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agissait de demander, en complément de toute action pour sanctionner les auteurs du massacre de Damas et prévenir de nouvelles attaques chimiques, l’adhésion immédiate de la Syrie à la Convention de 1993.

 

       Cela aurait permis à la France d'être au cœur du dispositif politique de résolution du conflit syrien, au lieu de se retrouver très en retrait sur la scène internationale après l’initiative du 9 septembre des Russes, rejoints immédiatement par les Américains.

 

      2) Le débat autour de la fameuse “ligne rouge” à ne pas dépasser concernant l’utilisation des armes chimiques a été escamoté. On a d’abord eu le sentiment que certains pays entendaient se substituer aux organisations internationales compétentes pour apprécier et juger ces crimes de masse (ONU, Cour Pénale Internationale). Certaines réactions ont ensuite laissé penser qu’il y aurait des victimes “ acceptables” et d’autres qui ne le seraient pas ! Ces hésitations ont eu au moins le mérite de montrer l’importance des traités internationaux destinés à empêcher l’utilisation des armes de destruction massive (biologiques, chimiques, nucléaires) et de celles qui visent surtout les civils (armes à sous-munitions, mines anti-personnel). Je constate que certains de ces traités concernant ce qu’on appelle, de façon un peu hypocrite, les “armes inhumaines” n’ont pas été signés par de grands pays, qui ne se privent pourtant pas de donner des leçons de vertu!

 

       3) Ce qui vaut pour l’armement chimique devrait également s’appliquer aux armes nucléaires, qu’il faut reconnaître comme des armes et pas comme des instruments de pouvoir. Il devient urgent d’aller rapidement et de façon transparente vers le désarmement nucléaire, comme le demandent beaucoup de pays et un nombre élevé de personnalités  ayant exercé de hautes fonctions dans le domaine de la défense ou des affaires étrangères. Ceux qui s’opposent, au nom d’un prétendu “réalisme”, à ce qu’ils considèrent comme des rêveries sont les mêmes qui affirmaient il n’y a pas longtemps que le dilemme était “la bombe iranienne ou le bombardement israëlien” et ceux qui proposaient de se débarrasser de l’armement chimique syrien par des actions militaires. Cette attitude a un nom : le fatalisme. Ce n’est pas ainsi qu’on répond le mieux aux désordres du monde.

 

       4) La suggestion faite par François Hollande à la tribune de l’ONU de supprimer le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité dans certains cas est bienvenue. Elle rejoint une proposition du rapport d’un “Groupe de personnalités de haut niveau” remis au Secrétaire général de l’ONU le 2 décembre 2004, recommandant que le droit de veto ne soit pas utilisé “en cas de génocide ou de violation massive des droits de l’Homme”, qui sont des concepts définis par les textes internationaux. J’ignore l’écho que cette suggestion rencontrera chez les quatre autres partenaires de la France au Conseil de sécurité. Je crains malheureusement qu’ils ne remettent pas en cause le privilège dont dispose le “club des cinq” depuis 1945, privilège aujourd’hui abusif alors que notre monde ne ressemble plus, par bien des aspects, à celui de la fin de la 2ème guerre mondiale.

 

 

III-  En 1971, François Mitterrand voulait la "rupture avec le capitalisme" ; en 1981, la gauche promettait de "changer la vie". Aujourd'hui, dans quelle mesure la gauche au pouvoir incarne-t-elle une alternative à la droite libérale ? Comment analysez-vous, en France et en Europe, la montée des populismes ? L'U.M.P. joue-t-elle un jeu pernicieux pour séduire les sympathisants du F.N. ?

 

       Vous mettez le doigt sur la difficulté pour un gouvernement de passer de “la conquête du pouvoir” à “l’exercice du pouvoir”, comme le soulignait déjà Léon Blum. Il faut bien reconnaître que, cette fois-ci, dans une période difficile au plan économique et avec un “héritage” lourd, François Hollande et son gouvernement se trouvent dans une situation délicate. Les hésitations, les contradictions, les reculades, parfois sur des dossiers essentiels (réforme fiscale, retraites, attitude à l’égard de l’Europe....) ont entraîné des déceptions dans l’électorat même de la gauche, qui aimerait retrouver dans la politique suivie une claire alternative à celle de la droite libérale. Sinon, la perte de confiance et les doutes qui se manifesteront peuvent conduire à une abstention électorale significative, qui risque de favoriser l’extrême droite.

 

       Le jeu de l’UMP est effectivement dangereux, s’il s’agit pour la droite de tenter de rééditer le “coup de 2002” (affrontement Chirac-Le Pen au 2ème tour de la Présidentielle), car on sait bien que les électeurs “préfèrent l’original à la copie”.

 

       Dans nombre de pays européens, la montée des populismes se nourrit de ces compromissions idéologiques et du sentiment que les gouvernements en place sont impuissants face à la crise. C’est pourquoi il devient urgent que François Hollande refixe un cap clairement compris par les électeurs, notamment ceux de gauche, qui ont du mal à se retrouver dans la politique actuelle.

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