"Pendant combien de temps encore va-t-on tourner en rond?" C'est ce que je me disais ce matin en écoutant la radio. On y commentait abondamment l’annonce imminente de frappes françaises en Syrie et l’on affirmait doctement qu’il faudrait quand même s’intéresser aux causes du flux de réfugiés qui trouble tant l’Europe en ce moment.
Que de temps perdu ! Que de tergiversations ! J’ose à peine rappeler ce que je ne cesse, avec d’autres, de répéter depuis des mois. Je n’ai rien à retirer à ce que j’écrivais le 2 mars dernier dans une tribune au titre très parlant -« Syrie: il est urgent d’agir pour éteindre l’incendie »- et dans laquelle je m’inquiétais d’une passivité coupable susceptible de créer une situation dramatique, dont une des conséquences serait des mouvements de réfugiés de grande ampleur.
Cette situation, nous y sommes….malheureusement. On n’en sortira pas avec des positionnements politiciens, des surenchères verbales et des approximations peu glorieuses. Le plus urgent est d’analyser lucidement les choses, en commençant par comprendre quelles sont les forces en présence et leurs objectifs (écouter ICI).
Le sujet est complexe, parce que la plupart des intervenants ont eu (ou ont encore) des positions ambigües, voire contradictoires : la Turquie, les pétromonarchies du Golfe, l’Iran, la Russie, les Etats-Unis et même la France.
Il est encore plus complexe si l’on veut bien se souvenir des évènements qui ont contribué à la profondeur des drames que vivent actuellement les populations du Moyen- Orient. Sans remonter aux erreurs qu’ont commises les puissances occidentales à la suite de la seconde guerre mondiale (traité de Sèvres, puis de Lausanne), il suffit de citer quelques dates :
- 1979 : invasion de l’Afghanistan par l’Armée Rouge, qui sera combattue par les Moudjahidines afghans et les Islamistes (Ben Laden), soutenus et financés par l’Arabie Saoudite, le Pakistan et les Etats-Unis.
- 1983 : le Hezbollah, soutenu par l’Iran et la Syrie, chasse les forces américaines et françaises du Liban.
-1989-89 : départ des forces soviétiques d’Afghanistan, qui prélude à la prise de pouvoir des talibans et au développement d’Al Qaïda.
- 1990 : 1ère guerre du Golfe, suivie par le maintien des Américains en Arabie Saoudite, qu'utilise le Saoudien Ben Laden pour développer son réseau en encourageant le sentiment anti-américain et anti-occidental ; par ailleurs, la promesse faite aux Etats arabes par les USA de favoriser la création d’un Etat palestinien après la guerre n’est pas tenue…
- années 90 : série d’attentats contre les intérêts américains, qui culmine avec la destruction des tours du World Trade Center le11 septembre 2001
- 2001- 2014 : intervention internationale (ONU) en Afghanistan, puis maintien des forces américaines.
- 2003- 2011 : intervention américaine en Irak et longue présence de forces militaires dans le pays, tout en soutenant un régime corrompu, inefficace et sectaire.
- à partir de 2010: « printemps arabes », qui renversent la plupart des régimes autoritaires (sauf en Syrie).
- 2011 : intervention internationale (ONU) en Libye, mais aucun suivi de la situation politique, qui tourne au chaos, cz dont profitent les Islamistes radicaux.
Cette brève chronologie n’est naturellement pas exhaustive (voir à ce sujet plus de détails ICI et dans le rapport que j’ai présenté à l’Assemblée nationale le 12 décembre 2001). Elle montre quand même que les désordres du Moyen-Orient ont des origines multiples et que les Occidentaux, notamment les Américains, y ont pris toute leur part !
Aujourd’hui, face à la nouvelle forme de la menace terroriste et devant les désastres qu’elle peut engendrer, il ne faut pas se tromper de diagnostic et de remède. Nous n’avons pas à nous impliquer directement dans le conflit entre Sunnites et Chiites, qui n’a d’ailleurs plus grand-chose à voir avec un affrontement religieux et qui a connu des formes diverses au cours des siècles. Par contre, nous devons désigner l’adversaire principal et nous donner les moyens de le combattre et de le réduire.
Cette lutte prendra du temps et il serait naïf de croire que quelques frappes aériennes et une illusoire (et dangereuse) action au sol en Syrie, sous l’égide de pays occidentaux, permettraient de venir à bout de l’EI.
La seule solution pour conjurer ces périls est de nature politico-militaire. Elle suppose une négociation entre les pays qui ont intérêt, à des titres divers, à mettre un terme à l’emprise et au développement de l’EI. Les évolutions de plusieurs de ces pays (Russie, Iran, Arabie Saoudite notamment) sur la scène internationale indiquent qu’une telle solution politico-militaire est vraisemblable.
Quant à l’attitude à adopter à l’égard de Bachar el Assad, l’idée d’une transition politique semble faire son chemin. Il est heureux que ceux qui rejetaient cette perspective avec fermeté il n’y a pas longtemps semblent vouloir se faire plus discrets. Je n’oublie pas que la conférence de Genève de juin 2012 parlait déjà de constituer en Syrie un « gouvernement de transition doté des pleins pouvoirs » et que, dans une tribune publiée le 27 février 2015, Laurent Fabius et Philip Hammond (ministre britannique des affaires étrangères) ont admis que cet organe gouvernemental devrait comprendre « certaines structures du régime existant ».
Alors, vite, que les décideurs prennent les initiatives courageuses qui permettront enfin de traiter les causes des drames qui ensanglantent les pays du Moyen-Orient et qui commencent, sous d’autres formes, à affecter dangereusement les pays européens.