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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

L'abus de sondages

Publié le 14 Juillet 2021 par Paul Quilès in Politique française, Toujours d'actualité

L'abus de sondages

     A l’approche de la prochaine élection présidentielle, les candidatures se multiplient, les esprits s’échauffent et l’invocation des sondages prédictifs est devenue le menu quotidien des médias et des candidats.

Un retour en arrière

       Dans une tribune publiée par Le Monde le 24 novembre 1980 ("Peut-on faire mentir les sondages ?") j’avais montré les limites de l’utilisation des sondages dans la vie politique et j’avais souhaité qu’on s’efforce d’y voir clair sur la nature même des sondages et sur le contexte dans lequel ils ont été réalisés. Et je terminais mon texte par ces 2 phrases :

      « A six mois de l'échéance, nul ne peut préjuger des effets d'une campagne probablement âpre qui permettra aux citoyens désormais confrontés à des choix réels, de s'exprimer clairement. Alors, j'en suis certain, François Mitterrand fera mentir les sondages une fois encore. »

       Il n’est pas excessif de dire que ce n’était pas un point de vue très répandu ! Témoin les vives (mais amicales) remontrances que m'avait faites le directeur d’un grand institut de sondage sur le caractère « pas sérieux pour un scientifique » de mes critiques et de mes prévisions. Il dut pourtant reconnaître que j’avais vu juste, lorsque le 10 mai à 18h 30, c'est lui qui me téléphona le résultat du sondage "sortie des urnes" à transmettre à François Mitterrand pour l'informer de sa victoire!

       Entendons-nous bien : je ne vise pas ici les enquêtes d’opinion générales et celles réalisées pour le compte d’entreprises et d’organismes divers, qui représentent d’ailleurs la source principale du chiffre d’affaires des instituts de sondage. Je veux parler des sondages " prédictifs"  concernant les grandes élections nationales.»

 

LIRE ci-après "La sondomanie est une maladie dangereuse"  (Texte de Paul Quilès publié sur le site de Marianne2.fr le 12 Septembre 2011.  )

    «  Je ne nie pas l’intérêt d’une technique qui peut être utile pour mieux appréhender l’état de l’opinion publique sur des sujets majeurs et d’en hiérarchiser les aspirations. Ce n’est cependant qu’un outil, qu’il faut remettre à sa place, en intégrant les résultats qu’il fournit dans une analyse plus complète de la réalité politique.

     Par contre, lorsqu’il s’agit de « prévoir » le résultat d’une élection 3 mois, 6 mois, 1 an avant la date du scrutin, on tombe véritablement dans le domaine de la pensée magique. Sans être un grand politologue, on sait en effet qu’un sondage réalisé aussi loin de l’échéance ne peut intégrer plusieurs facteurs déterminants, notamment :

    - les conséquences de la campagne électorale proprement dite, qui fait bouger les lignes ;

     - le handicap de celui qui est en tête longtemps à l’avance et qui devient au fil du temps l’objet de toutes les critiques….y compris du monde médiatique, qui résiste rarement à la tentation de brûler ce qu’il a porté au pinacle ;

     - le changement d’attitude de certains électeurs du camp adverse, favorables par effet de mode à un candidat dans les sondages….mais qui retrouvent leur camp quand l’affrontement se radicalise.

      Il n’empêche, on a beau le répéter, rien n’y fait. Presque tous les commentateurs, les partis et les responsables politiques, les candidats potentiels eux-mêmes ont les yeux rivés sur ces indicateurs, qui ne veulent pourtant pas dire grand-chose. Que penserait-on d’un pilote qui conduirait sa voiture avec un tableau de bord donnant des chiffres qu’il sait pertinemment faux et qui déterminerait cependant sa conduite en fonction de ces indications ? de toute façon, l’accident ne serait pas loin !

      Je regrette que les responsables politiques et les médias (et pourquoi pas, les instituts de sondage) ne soient pas plus prudents dans l’exploitation des sondages prédictifs. Je passe sur l’attitude un peu ridicule qui consiste à se gaver de ces chiffres et à s’en flatter lorsqu’ils vous sont favorables et à les rejeter ou à crier à la manipulation lorsqu’ils ne le sont pas.

      La manipulation peut évidemment exister, mais elle serait sans objet si les politiques expliquaient en toute circonstance l’inutilité et la dangerosité de ces prédictions. Combien d’entre eux, qui affirment en public ne pas y croire et ne pas s’en soucier les regardent quand même, comme ceux qui lisent leur horoscope –auquel ils ne croient naturellement pas- en y cherchant un conseil réconfortant !     

     Il me semble indispensable à cet égard de rappeler quelques chiffres concernant plusieurs élections présidentielles, oubliés et pourtant particulièrement éclairants pour comprendre les dangers de la "sondomanie".

Election de 1981 ( Sondages IFOP )

                     Octobre 1980              Avril 1981          Mai 1981

                         (1er tour)       (2ème tour)

Mitterrand         18%                         25,9%                   51,8%

Giscard             36%                         28,3%                   48,2%

Marchais           16%                         15,3%                     -

Chirac                 8%                         18,0%                     -

Election de 1995  (Sondages IFOP/SOFRES)                                                      

                          Janvier 1995     Avril 1995         Mai 1995 

                                (1er tour)       (2ème tour)

 Jospin                         15%              23,3%                             

 Balladur                    29%               18,6%                 47,4%  

 Chirac                         16%              20,8%                 52,6%

* Ces mêmes sondages indiquaient que 62% des Français pensaient que Balladur ferait un bon président de la République et 65% d’entre eux étaient convaincus qu’il serait élu….

 Election de 2002 (Sondages SOFRES )

                   Septembre 2001         Avril 2002        Mai 2002

                           (1er tour)              (2ème tour)

Jospin                27%                            16,2%                    -

Chirac                26%                            19,9%               82,2%

Le Pen                7%                             16,9%               17,8%

Chevènement    9%                               5,3%                    -

 

Election de 2007 (Sondages BVA )

                      Décembre 2006         Avril 2007      Mai 2007

                                (1er tour)          (2ème tour)

Sarkozy                   32%                      31,2%              53,1%

Royal                       35%                      25,9%              46,9%

Bayrou                      8%                       18,6%                 -

Le Pen                      9%                         0,4%                 -

*****

 J’espère que ce retour sur le passé, qui se veut un appel à la lucidité, incitera les responsables politiques de la gauche à ne pas fixer leur cap en fonction des indications de cette boussole si peu fiable que sont les sondages prédictifs.

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