Pierre Bérégovoy était un ami. C’était aussi un camarade socialiste et le chef du gouvernement dans lequel je fus ministre de l’intérieur. C’est dire si sa mort brutale le 1er mai 1993 m’a affecté.
Or, en me réveillant ce matin et en écoutant la radio avant d’aller, comme chaque 1er mai, à la rencontre de mes amis syndicalistes de Carmaux, j’ai eu la surprise d’entendre un reportage qui m’a révulsé.
Il s’agissait d’un long commentaire sur une enquête journalistique concernant les conditions du suicide de Pierre Bérégovoy. Je passe sur les détails morbides, pour en arriver à la conclusion : toutes ces supputations semblent « sans fondement », mais il fallait bien en parler….puisque certains, qui exploitent et alimentent sans vergogne la rumeur, en ont parlé !
En ce jour du 15ème anniversaire de sa mort tragique, j’aurais préféré qu’on rappelle l’homme qu’il a été et son parcours exceptionnel: celui du syndicaliste ouvrier, devenu militant politique, puis responsable au plus haut niveau avant de devenir ministre puis premier ministre.
Qu’il ait commis des erreurs, c’est probable, mais qui n’en commet pas dans l’action politique ? Cela ne saurait pour autant justifier les campagnes haineuses dont il fut l’objet de la part de ses adversaires politiques et son honneur « jeté aux chiens », pour reprendre la formule de François Mitterrand lors des obsèques de Pierre Bérégovoy à Nevers.
Il n’avait pas supporté la violence de cette mise en cause et je me souviens de sa tristesse lorsque certains « amis » se sont éloignés de lui, au moment où il avait besoin de soutien.
Je me souviens aussi de sa réaction indignée, lorsque, ministre de l’intérieur, je l’ai informé des « révélations » qui allaient être publiées sur le prêt sans intérêt qui lui avait été consenti.
Je me souviens de son écoeurement après cette séance pénible du Comité Directeur du PS à la Maison de la chimie, quelques semaines après les élections législatives. Il s’agissait de tirer les leçons de la sévère défaite de la gauche et certains responsables socialistes avaient préféré le prendre comme bouc émissaire en le présentant comme responsable principal de l’échec.
Je me souviens enfin de ce soir, quelques jours avant son suicide, où il est venu me voir dans mon bureau à l’Assemblée Nationale. Il était totalement déprimé et ne cessait de répéter : « Paul, franchement, est-ce que tu crois qu’on a mérité ça ? ». Je me suis dit plus tard que ce devait être un message : « ça », c’était probablement ce qu’il subissait et le sentiment d’être abandonné par ses « amis ».
Alors, depuis ce jour, je sais qu’il faut utiliser avec beaucoup de discernement le beau mot d’ « ami »….surtout en politique, où il donne souvent lieu à un abus de langage, auquel je recommande à mes amis (les vrais) de ne pas se livrer.