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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Pourquoi il faut refuser la privatisation de La Poste

Publié le 30 Septembre 2008 par Paul Quilès in Politique française

Cette analyse de Paul Quilès a donné lieu à une tribune qui a été publiée dans Le Monde daté du 1er octobre 2008.
                              
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Quelle que soit la façon dont les choses sont présentées, le lancement du processus d’ouverture du capital de La Poste apparaît bien comme le prélude à sa privatisation. Cette opération est dans la logique de la politique constante de la droite depuis six ans, accélérée par N. Sarkozy, de déréglementation et de privatisation du secteur public (France Telecom, GDF, EDF, Française des jeux…..).
           

            Le Président de La Poste explique qu’il a besoin de moyens financiers importants pour assurer le développement de son établissement et que l’Etat n’est pas en mesure de les lui apporter. Cette affirmation, dont il est nécessaire d’analyser à quoi elle correspond exactement, ne peut entraîner comme seule et unique réponse la privatisation de ce service public auquel les Français sont particulièrement attachés. 

            Avant d’examiner comment d’autres réponses pourraient être apportées, analysons les mauvais arguments avancés pour tenter de justifier ce projet. 

Ø  La privatisation serait inéluctable, parce qu’imposée par la déréglementation européenne. 

            Ceci est inexact. Rappelons d’abord que c’est ce gouvernement qui a accepté, au sein des instances communautaires, la libéralisation totale du courrier à partir de 2011. Il aurait pu s’y opposer. Or, N. Sarkozy, qui prétend savoir imposer ses volontés à ses partenaires, n’a rien fait. Pas étonnant, puisqu’en 1993, il était déjà membre du Gouvernement Balladur qui a accepté la déréglementation totale des télécoms. 

            Par ailleurs, les règles de l’Union ne fixent aucune obligation en matière de statut des entreprises intervenant sur le secteur postal, dès lors que celles-ci respectent les règles de concurrence dorénavant en vigueur du fait de la déréglementation.  

            Je tiens à ce propos à souligner que la déréglementation du secteur postal est une erreur politique, industrielle et économique:

            - elle va déséquilibrer gravement l'opérateur en charge des missions de service public,  c'est à dire La Poste, qui ne pourra plus financer elle-même ses missions d'intérêt général grâce au monopole dont elle bénéficiait pour les lettres de moins de 50g, pour assurer la péréquation tarifaire sur l'ensemble du territoire, garantir la même qualité de service pour tous quelque soit le destinataire à tarif identique, pour assurer un accès égal au réseau postal à tous, maintenir une présence postale sur tout le territoire...

            - les fonds de péréquation proposés par la Commission seront inopérants sur le moyen terme, soit parce qu'ils subiront la pression à la baisse des financements de l'Etat, soit parce que le financement par les concurrents de La Poste est illusoire. 

            Au total, on se dirige vers la disparition d’un de nos meilleurs outils d’aménagement du territoire et le délitement des politiques de solidarité liées à l’accès au réseau postal et au service bancaire universel. 
    

 Ø  Ce ne serait pas une privatisation mais une simple ouverture du capital.           

            Quel crédit accorder à un tel argument, venant de ceux qui ont privatisé GDF en 2008, après avoir pris les engagements publics les plus fermes et les plus solennels, y compris législatifs, de ne jamais le faire (lors de sa mise en bourse en 2006) ?

            La vie politique récente a montré que les processus d’ouverture du capital se traduisent toujours par une privatisation, plus ou moins rapide : Air France, France Telecom, GDF, bientôt la CNP….

            Le Gouvernement avance également  un argument curieux : la perte de contrôle majoritaire par l’Etat du capital de La Poste serait, dit-il, "anticonstitutionnelle", en raison des missions de service public national exercées par La Poste. Or, ceci ne figure pas dans la Constitution. A contrario, si le Président avait voulu donner de vraies garanties, il aurait pu le faire figurer dans la réforme du mois de juillet, au moment même où la première annonce de changement de statut de La Poste a été faite.

            Quant à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel dans ce domaine, à supposer qu’elle confirme cette thèse, elle pourra être aisément contournée en attribuant des délégations de service public à d’autres opérateurs postaux, comme cela se fait dans le secteur de l’eau ou des transports. 

Ø  Il n’y aurait rien à craindre de la privatisation, puisque les missions de service public seront préservées. 

            Cet argument est assez cynique. En effet, c’est bien N. Sarkozy et son Gouvernement qui viennent de décider la banalisation du livret A. Après avoir constitué la Banque Postale, en expliquant que celle-ci serait une banque comme les autres et avoir même prévu dans la loi l’ouverture possible de son capital, ce même gouvernement s’étonne que la Commission Européenne demande de banaliser le livret A, considérant que la Banque Postale n’a plus vraiment de spécificités à faire valoir !

            La banalisation du livret A menace à l’évidence la collecte du livret A et par conséquent le financement du logement social : si les banques veulent pouvoir distribuer le livret A, ce n’est pas pour accéder à une clientèle modeste, mais au contraire pour attirer les épargnants financièrement les plus « intéressants » et leur proposer très vite des produits financiers alternatifs, plus lucratifs pour elles. Il en résultera une baisse de la collecte et un tarissement progressif des ressources financières pour le logement social….alors qu’il faudrait mobiliser le maximum de ressources pour fournir des logements décents à des millions de nos concitoyens démunis.

            De façon plus générale, l’accès à un service bancaire universel est une nécessité pour assurer une véritable égalité d’accès aux services bancaires. La Poste et La Banque Postale devraient continuer de jouer un rôle spécifique dans le système bancaire français, ce qui n’a pas malheureusement pas été prévu par la loi qui a créé la Banque Postale.

            Les processus de privatisation ont débouché largement sur le délaissement progressif des missions de service public : France Telecom, tarifs d’EDF, tarifs de GDF, desserte du territoire par Air France,…Nous le savons bien : la logique du CAC 40 l’emporte toujours sur les missions d’intérêt général. 
 

Ø  La privatisation serait le seul moyen d’accompagner le développement futur de La Poste : 

            De quel développement parle-t-on ?           

            - S’agit-il d’investir dans des bureaux de Poste plus modernes, d’ouvrir davantage le samedi, d’arrêter d’avancer les heures de la dernière levée, de permettre aux personnes âgées de disposer des lettres recommandées chez elles dans les immeubles urbains ?

            - S’agit-il de continuer d’investir massivement dans des centres de tri dont le trafic baisse, parce que le volume du courrier physique se contracte dans une tendance de long terme ou bien d’investir dans les NTIC, pour favoriser l’émergence de La Poste comme un opérateur majeur du courrier physique et du courrier électronique et fournir aux entreprises et aux particuliers des solutions complètes à leurs besoins de communication ?

            - Bien sûr, La Poste doit aussi poursuivre le développement de ses activités bancaires et de transport rapide et express de colis, y compris avec des alliances industrielles, pour autant qu’elles soient utiles et profitables au développement durable de ces activités dans un univers très concurrentiel. Les structures actuelles du Groupe La Poste permettent précisément, à travers la Banque Postale et Géopost (activités colis), de nouer ces alliances, en ouvrant si nécessaire le capital de façon minoritaire.

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           L’accroissement des fonds propres de La Poste est souhaitable, si cela contribue aussi à la réduction de sa dette, qui a très fortement augmenté ces dernières années, en dépit de la hausse continue du prix du timbre. 

            Pour y parvenir, tout en garantissant à terme le statut public de La Poste et en confortant ses missions de service public et d’aménagement du territoire, d’autres solutions doivent être étudiées. Par exemple : 

            - L’entrée de la Caisse des Dépôts dans le financement de La Poste. Au moment où le Président de la République prétend faire de la CDC un « fonds souverain », il serait paradoxal de ne pas l’utiliser pour conforter les besoins de fonds propres de La Poste. On pourrait aussi envisager de restructurer le capital de la CNP, où la CDC et La Poste deviendraient conjointement les actionnaires majoritaires de la compagnie, les Caisses d’Epargne cédant leur participation. Ceci permettrait tout à la fois de conforter cette alliance, de sécuriser les revenus tirés de la CNP, tant pour la CDC que La Poste et de conserver cette grande institution financière dans le secteur public, contrairement aux projets de l’Elysée. 

            - La création d’une structure publique de contrôle, ayant par exemple le statut de fondation, à l’instar de ce qui se fait dans certains pays anglo-saxons, ou de coopérative, qui ferait appel public à l’épargne, avec une association des représentants des sociétaires, des usagers, des clients et des élus aux instances de contrôle de l’entreprise.                                  

                                                   
            Pour toutes ces raisons, le projet du gouvernement doit donc être rejeté. Toute volonté de passer en force et d’imposer une solution se heurtera à une forte mobilisation de nos concitoyens, qui n’assisteront pas passivement au démantèlement d’un de nos services publics les plus emblématiques.

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