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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Face aux désordres du monde (suite)

Publié le 26 Décembre 2009 par Paul Quilès in International et défense

La fin du mois de décembre est l’occasion de tirer des bilans de l’année écoulée et d’essayer de tracer des perspectives pour l’année à venir.

Dans ce que je lis et que j’entends en ce moment, il me semble retrouver presque totalement ce que j’exprimais déjà en 2005,
dans le livre que j’ai écrit avec
Alexandra Novosseloff  
(« Face aux désordres du monde » : voir sur ce blog).

La conclusion du livre n’a malheureusement pas perdu de son actualité.
A vous de juger !

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Comment convaincre?

          Nous nous sommes efforcés de décrire les principales caractéristiques de notre monde incertain de ce début de 3ème millénaire, qui hésite entre chaos et espoir. Entre le chaos résultant des multiples désordres qui l’agitent et l’espoir de voir mises en oeuvre des solutions durables, quelle est la marge ? Est-il naïf de ne pas se satisfaire de ces « chroniques d’une catastrophe annoncée » dont on nous abreuve et d’imaginer que le monde, ses dirigeants et ses peuples pourraient suivre une autre voie ?

 

            Au cours des siècles, l’humanité a progressé vers une meilleure connaissance de la planète, de ses ressources ; elle a amélioré ses conditions de vie et de travail ; elle a acquis plus de puissance grâce aux progrès, parfois fulgurants, de la science, des techniques et de la médecine ; elle a su conquérir la nature et finalement mieux maîtriser son destin.

 

Constater ces avancées indéniables, dont tous les hommes ne profitent cependant pas de la même façon, ne doit pas empêcher de voir que le monde est aujourd’hui pétri de contradictions. La menace de guerres entre Etats a quasiment disparu, mais le nombre de conflits internes – souvent meurtriers – n’a jamais été aussi élevé. Le niveau de vie mondial s’accroît, mais les écarts entre revenus aussi. Les progrès de la médecine ont permis d’augmenter l’espérance de vie dans les pays développés, mais des populations entières sont menacées par des famines et des épidémies. Les régimes démocratiques sont de plus en plus nombreux, mais d’immenses régions sont encore sous l’emprise de dictatures. Les grandes religions font appel beaucoup plus que par le passé à la tolérance, mais les mouvements religieux fondés sur le fanatisme et les sectes se développent dangereusement.

 

De fait, le monde a toujours progressé par à coups. Les avancées n’ont pas souvent découlé de l’appréciation logique par les hommes de l’intérêt collectif, qui aurait amené à éviter les conflits destructeurs et à rechercher la paix, l’équilibre, le progrès et le développement. Elles ont plutôt été façonnées par les rapports de force entre Etats, dont les affrontements et les guerres ont catalysé des prises de conscience impensables auparavant. C’est bien en effet l’étendue des désastres humains, économiques et parfois moraux engendrés par les grandes guerres, les génocides et les crimes des idéologies totalitaires qui a conduit à la création de la Société des Nations (SDN) après la guerre de 14-18, des Nations Unies après la Seconde Guerre mondiale ou, plus récemment, de la Cour Pénale Internationale (CPI). C’est elle qui a poussé les nations d’Europe, autrefois ennemies, à s’unir. De même, lorsqu’une catastrophe naturelle ou technologique survient, on réalise brusquement qu’il aurait été possible d’en minimiser les conséquences par des mesures … que l’on s’empresse alors de décider. Ce fut le cas au lendemain du tsunami asiatique de décembre 2004 ou lors de la crise de la « vache folle » il y a quelques années.

 

Aujourd’hui, devant la dangerosité des risques et des menaces que nous avons décrits, il n’est pas illégitime de se demander quelles sont les chances d’éviter de tels à coups, dont il n’est pas sûr cette fois-ci que la prise de conscience qu’ils entraîneraient ne se révèlerait pas trop tardive et inefficace. En d’autres termes, peut-on envisager en ce début de 21ème siècle que la raison finira par s’imposer dans les relations internationales comme le moyen le plus pertinent de défendre l’intérêt collectif de l’humanité ?

 

Vaste ambition, lorsque l’on mesure la somme des difficultés à surmonter !

- Le premier obstacle réside dans la différence d’appréciation des menaces selon les Etats. Il arrive que les décideurs sous-estiment certains dangers, par méconnaissance des véritables enjeux. Cette réaction, plus fréquente qu’on ne le croit, ne permet pas d’aborder avec sérieux les débats multilatéraux … lorsqu’ils ont lieu.

- Le deuxième obstacle provient de l’attitude de l’hyperpuissance américaine, dont on sait que, malgré des discours généreux, elle agit trop souvent en fonction de ses intérêts exclusifs et de l’idée qu’elle se fait de l’évolution souhaitable du monde.

- La troisième difficulté est inhérente à la notion même de démocratie, ou en tout cas à la manière dont elle fonctionne dans la plupart des pays qui ont adopté ce mode de gouvernance. Les dirigeants, élus par le peuple, hésitent à annoncer les décisions courageuses, voire les sacrifices pourtant nécessaires, préférant jouer sur les peurs et flatter les égoïsmes nationaux, locaux ou corporatistes. Le souci de l’élection (ou de la réélection !), la lutte pour le pouvoir, sur fond de médiatisation parfois caricaturale, créent un climat qui tend à faire prévaloir la préoccupation du court terme sur une vision plus large de l’intérêt collectif. Il n’est naturellement pas question de remettre en cause la démocratie, seul système politique capable de concilier liberté et développement économique et qui contribue à la disparition des conflits armés et à la lutte contre la pauvreté. Pour autant, le fonctionnement des démocraties doit évoluer, si l’on veut enrayer la crise qui se manifeste en France, en Europe et dans une grande partie du monde, par une perte de confiance grandissante dans la politique et dans ceux qui l’incarnent. Ceci paraît d’autant plus nécessaire que cette crise de la démocratie est une des raisons pour lesquelles les risques et les menaces que nous avons décrits sont insuffisamment pris en compte dans les actes.

 

Pour obtenir l’adhésion des citoyens aux grandes décisions, il faut qu’ils se sentent concernés et, pour cela, ils doivent être sérieusement informés : sur les faits, bien sûr, mais aussi sur les enjeux. Les discours hypocrites, les belles paroles, les effets d’annonce ne contribuent pas à cette clarté indispensable à un exercice sain de la démocratie. Une fois informé, le citoyen peut exprimer un avis qui l’engage, pour autant qu’on le consulte de façon simple et intelligible. La récente consultation par referendum sur le projet touffu et illisible de Constitution européenne, mélangeant les détails et les questions de fond, est à cet égard un parfait contre exemple.

 

Dans notre monde moderne, la médiatisation intervient d’une façon de plus en plus prégnante pour informer les citoyens et elle contribue à former ce que l’on appelle l’opinion publique. En réalité, il faudrait plutôt distinguer des opinions publiques ou des courants d'opinion, ou plus exactement préciser de qui l'on parle : des élites, des classes dirigeantes, des populations locales. Il existe certainement une opinion publique internationale homogène au niveau des élites et des classes dirigeantes, qui partagent le même type de préoccupations, qui ont le même langage, qui s’intéressent aux mêmes perspectives. En revanche, dans chaque pays, les opinions publiques sont avant tout structurées par le mode et le niveau de vie ou encore par la culture.

 

Il faut donc se méfier lorsque, faute de faire confiance aux organes représentatifs de la démocratie, l’on invoque cette opinion publique, qui n’est pourtant la plupart du temps qu’une construction, produit à la fois de l'hyper médiatisation de l'actualité et de la simplification outrancière à laquelle elle donne lieu. Comme le dit Jean-Marie Guéhenno, « fragmentation des images et des sujets, émiettement du temps, simplification des perceptions : on en parle ou on n’en parle pas, c’est le principal, et souvent l’unique critère, car une question dont on ne parle pas n’existe pas. Quant à savoir ce qu’on doit faire, ce mode d’organisation du débat pousse aux oppositions simplistes. Sur tout problème, il y a une position dominante, par rapport à laquelle on se définit, par oui ou par non. Les nuances, le qualificatif, les « pas tout à fait », et le « presque d’accord », sont discrédités, parce que non pédagogiques »*. De plus, la façon dont l’actualité est traitée est souvent contradictoire. D’abord dramatisante, avec des images fortes, de la compassion, un sentiment de culpabilité. Puis rassurante : « c’est loin », « de toute façon, on n’y peut rien », « ça passera ». Rien de plus facile alors de conditionner, voire de manipuler les populations, peu au fait des méandres de la politique internationale.

 

Il n’en demeure pas moins que les opinions publiques peuvent faire preuve de lucidité et peser sur le cours des relations internationales autrement que comme des relais passifs de choix et de décisions qui les dépassent. Ce qui exige avant tout qu’elles soient bien informées. Le formidable outil que représente le système d’information mondial, avec Internet, la multiplicité des médias, la communication instantanée, peut y aider, même si sa diffusion ne touche qu’imparfaitement une bonne partie de la planète et certaines catégories de population. Les corps intermédiaires – associations, ONG – ont un rôle important à jouer dans ce travail. Il faut aussi écouter le mouvement alter mondialiste, qui a le mérite, malgré une approche un peu brouillonne, de montrer les véritables enjeux. Toutes les voix qui parlent de l’avenir et qui aident à mieux comprendre la réalité du monde favorisent la prise de conscience par les peuples qu’ils ont un destin commun. Ils ne peuvent plus alors négliger la défense de ces biens collectifs que sont par exemple l’environnement, l’eau potable, les océans. Ils comprennent que la lutte contre les épidémies, contre le terrorisme, contre les mafias et le crime organisé n’a pas de sens dans un cadre strictement national. Ils réalisent que seule la définition de préférences collectives globales permet de répondre aux grands défis de demain, notamment celui du développement.

 

            Mieux informés, plus conscients des enjeux et des risques, plus attentifs à la résolution des problèmes du monde, les citoyens des démocraties ont la capacité de faire pression sur les gouvernants.  (………….)

                                                        

            S’il est souhaitable que la pression des peuples puisse ainsi s’exercer, il faut se résoudre à constater que, jusqu’ici, les relations internationales demeurent avant tout le domaine privilégié de l’intervention des Etats et de leurs gouvernements. Le moteur essentiel de leur action est le rapport de forces : feutré lorsqu’il se cantonne au domaine de la diplomatie, implacable lorsqu’il concerne l’économie, brutal quand il se traduit par l’usage de la force. Presque toujours, ce sont les intérêts des Etats et parfois ceux des dirigeants qui gouvernent les relations internationales. Les errements du monde actuel montrent à chaque instant les limites de cette addition des souverainetés nationales pour régler intelligemment les crises et répondre aux grands défis de demain.

 

Depuis une trentaine d’années, il existe bien des conférences internationales, qui se concluent par de vibrantes et émouvantes déclarations sur la pauvreté, la santé, l’environnement, les droits des femmes. Leur faible traduction en termes de réalisations concrètes fait apparaître ces manifestations comme des initiatives sympathiques, mais peu efficaces. Seul ce qu’il faut bien appeler un « pouvoir mondial », cohérent et reconnu, sera en mesure, comme le suggère Kofi Annan, de « dépasser nos préoccupations étroites et d’apprendre à appréhender dans la concertation tout l’éventail des questions qui se posent à nous ». Les institutions internationales existantes souffrent de lourdes carences, souvent dénoncées: une inefficacité chronique, un fonctionnement fondé sur une approche formelle de la démocratie – qui donne le même poids à Haïti et à l’Inde ! – des instances décisionnaires dont la légitimité fait débat. Les réformer, ainsi que nous l’avons proposé, constitue le préalable indispensable à l’apparition de ce « pouvoir mondial ». (…………..)

 

Est-il raisonnable dans ces conditions d’espérer que les périls et les désordres  de ce début de 21ème siècle ne déboucheront pas sur le chaos ? Peut-on imaginer, sans tomber dans l’angélisme, que les politiques que nous nous sommes efforcés de décrire ont quelque chance d’être mises en œuvre ? L’espoir le plus sérieux réside dans la prise de conscience des citoyens du monde, qui constituent, sans le savoir, une véritable « opinion publique mondiale », capable de peser sur les gouvernants et sur les acteurs de la scène internationale. Il faut souhaiter qu’à force de pressions et de réactions multiples, nationales et internationales, celle-ci pourra leur faire comprendre qu’en se laissant guider exclusivement par des intérêts égoïstes, ils contribuent à l’émergence de catastrophes qui, en retour, nuiront à leurs propres intérêts. Dans cet appel à l’intelligence et à la lucidité collective, la mise en avant de la prééminence du système de gouvernance mondiale est fondamentale, dans la mesure où seule une ONU réformée, plus efficace garantira la pérennité des solutions.

 

C’est ainsi que de nouvelles solidarités apparaîtront au sein des sociétés démocratiques, entre les Etats et entre les institutions internationales. Question de volonté bien sûr, mais aussi d’imagination, car trop souvent les réponses et les attitudes conventionnelles sont inadaptées pour résoudre les problèmes du monde. Si cet espoir ne se concrétise pas, il est à craindre que les catastrophes si souvent annoncées ne conduisent à des excès qui mettraient en cause la liberté et la démocratie.  

 

* Jean-Marie Guéhenno, La fin de la démocratie, 1993, Paris, Champs- Flammarion, p. 49.

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