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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

La sécurité ne doit pas être un piège

Publié le 20 Novembre 2010 par Paul Quilès in Politique française

Pour regarder la vidéo de l'intervention

de Paul Quilès,

 ancien ministre de l'intérieur, 

lors du forum du PS sur la sécurité de Créteil

(17 novembre),

cliquer ici

 

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 Réflexions sur la sécurité

           Il paraît que les socialistes seraient «tombés dans le piège de la sécurité» et que, «divisés sur le sujet, embarrassés par leur histoire et leur présent», ils ne seraient pas prêts, «à un an du débat présidentiel, à relever ce défi». C'est ce que j’ai lu dans le Monde il y a quelques semaines. C’est aussi, sous une autre forme, le type de message que les adversaires de la gauche distillent en permanence, espérant en récolter les fruits au moment des élections.  

            Sur ce sujet si sensible, essayons de nous éloigner des « fausses évidences », en constatant que, depuis les combats des années soixante-dix, la gauche et en particulier les socialistes défendent une ligne ambitieuse, la seule légitime et pérenne dans une démocratie moderne : assurer la sécurité publique dans le respect des libertés individuelles. Il a pu arriver que l'épreuve du pouvoir les conduise parfois dans les faits, à perdre de vue cette ligne, par exemple dans les durs combats contre le terrorisme et la criminalité, mais cela ne s’est pas produit au détriment de la sécurité. Et d’ailleurs, lorsque des critiques ont été portées sur des penchants trop sécuritaires de certains projets, les gouvernements de gauche ont su en tenir compte et les arbitrages, que ce soit avant 1993 ou après 1997, ont su reconnaître toute leur place aux libertés.    

 

            Quelques repères historiques 

          Le déploiement dans la police nationale des effectifs nécessaires à la conduite de ses missions, le relèvement du statut social de ses personnels commencent en 1982 avec Gaston Defferre. C’est ensuite, avec Pierre Joxe, la modernisation des techniques et des matériels, l'accent mis sur les impératifs déontologiques pour les fonctionnaires de police. Le ciblage d'actions prioritaires (la sécurité dans les transports urbains, la lutte contre les phénomènes de bandes,...) et la définition de « projets locaux de sécurité »[1] font partie du plan d'action que j’applique en 1992-93, cinq ans avant que Jean-Pierre Chevènement, à partir de Villepinte, poursuive ces actions, dont la mise en œuvre avait été interrompue par la politique de deux gouvernements de droite.

            Avec le recul, l'erreur des socialistes a probablement consisté à ne pas avoir assez parlé de ces orientations, de ces programmes, de ces actions, si justes pour notre pays et si importants pour nos concitoyens, de ne pas avoir assez défendu les grandes architectures qui les soutenaient. A force d'avoir trop souvent privilégié, dans le discours, la nouveauté au détriment de la continuité, d'avoir quelquefois pensé et même parlé à la place de la droite, les socialistes ont laissé celle-ci écrire tranquillement sa chanson de gestes. C'est d'autant plus dommage que les « naïfs » étaient rares dans les équipes de gauche en charge de ce secteur ! 

      

            Le présent  

         Le bilan déplorable de la droite en matière de sécurité depuis 2002, ses dérives sécuritaires, qui entament les principes-mêmes de la République, montrent les limites de sa compétence auto-proclamée.

            Quelques exemples suffisent à illustrer ce jugement: l'augmentation constante des violences aux personnes ; l'insuffisance des enquêtes sur les délinquances financières ; l'incapacité de comprendre, pourtant indispensable pour réagir face à la situation observée dans les banlieues ; le tout-répressif dans les textes et dans les dispositifs, qui s'empilent et se fragilisent en même temps ; la recherche systématique de l'accroissement statistique et du chiffre médiatisable, au risque de graves déviations[2] ; le recours systématique aux technologies les plus intrusives, coercitives, voire dangereuses (les fichiers, les fadettes, les flashguns,...) ; le choix récurrent de projections spectaculaires et de déploiements militarisés de forces de police, au détriment de leur proximité avec la population et de leur enracinement dans les quartiers, notamment en police judiciaire ; la priorité donnée aux zones urbaines et périurbaines aisées, au détriment des banlieues défavorisées et de la plupart des  zones rurales…

            Comme on le voit, s’il y a un piège, ce n’est pas sur un camp ou sur l'autre qu’il se referme, mais bien sur notre pays et nos concitoyens. C’est pourquoi il serait grave que Nicolas Sarkozy poursuive dans la voie qu’il semble avoir choisie, en haussant le ton, en dramatisant les enjeux, en désignant des boucs émissaires. Autant de gesticulations, dont le but électoraliste consiste à enfoncer dans les têtes cette idée simple mais fausse que la droite sait assurer la sécurité, contrairement à la gauche…qui serait finalement du côté des délinquants et pas des victimes !

 

            L’avenir  

          On peut espérer qu’une telle mauvaise foi ne fasse pas recette. L’observation du travail des élus locaux de tous bords sur les questions de sécurité montre que des expérimentations se développent et que des convergences se font jour. Bien entendu, cela ne gomme pas les différences d’appréciation qui peuvent exister entre les conceptions de la droite et de la gauche, mais, à condition que tout ne soit pas fait pour cliver, on peut imaginer qu’il soit possible de rassembler autour de ce que j’appelle des « consensus partiels ».

            La sécurité publique fait en effet partie des compétences régaliennes, dans la mesure où elle est un droit pour tous, sans exclusion sociale ou géographique et où elle participe pleinement à la cohésion de notre pays. Pour autant, l’Etat ne peut être le seul acteur et il doit faire appel à ceux qui, au niveau local, participent aux solidarités et aux disciplines entre les personnes.

            La sécurité devient ainsi une « coproduction », qui exige la construction de «consensus partiels», fondés sur la définition et l'adoption en commun de valeurs, de moyens, d'évaluations. Les objectifs à fixer aux acteurs de la sécurité doivent être modestes et il faut que les résultats concrets soient vérifiables par les observateurs, à l’aide de données statistiques et criminologiques fiables.

            La réussite d’une telle démarche exige aussi que trois principes soient posés:

- qu’aucune action ne soit envisagée sans consensus sur les valeurs et les objectifs (par exemple, le refus de toute tolérance aux économies souterraines dans certains quartiers, l’engagement de faire exécuter toute peine définitivement prononcée ou de sanctionner tout manquement à une obligation judiciaire);

- qu’aucune action ne soit entreprise sans que les moyens aient été dégagés ;

- que des moyens ne soient pas mis en œuvre sans que des objectifs précis aient été fixés.

 

            De nombreuses autres propositions pertinentes et plus ponctuelles ne manqueront pas d’être faites. L’objet de mon propos était plus général. Il s’agissait de tracer une démarche susceptible de permettre à la gauche de réussir à relever un défi : celui de répondre à l’attente des Français en matière de sécurité, dans la fidélité aux valeurs qui fondent le pacte républicain.  


[1]  500 « projets locaux de sécurité » ont été signés et engagés en un an

[2] Près d'un million de « gardés à vue » en une année ! 

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