Vous ne connaissiez peut-être pas Colette Réavaille, mais je voudrais vous parler de cette femme de 86 ans, dont la disparition m'a beaucoup touché, comme les nombreux témoignages que j'ai entendus hier au cours d'une cérémonie émouvante à Carmaux.
Voici comment, pour ma part, j'ai rendu hommage à cette amie, simple militante, dont la vie a été ce que Jean Jaurès appelait "une vie vivante, sincère et pleine".
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"Au delà de la souffrance affective douloureuse que nous ressentons tous devant la disparition d'un être cher s'en ajoute une autre, non
moins aigüe, celle de déplorer la disparition d'une personnalité hors du commun. Ce fort sentiment de vide, cette absence lourde témoignent rétrospectivement de la rayonnante présence de
Colette.
Difficile de parler d’elle à l’imparfait, tant elle est encore présente auprès de nous.
Difficile de se départir d’une émotion intense dans un tel moment de communion.
Difficile de résumer sa vie en quelques phrases. Je vais quand même essayer de le faire, modestement, convaincu que je ne
pourrai évoquer qu’une partie de sa très riche personnalité.
Colette, c’était d’abord une incroyable énergie. Incroyable pas seulement du fait de son âge. Bien des jeunes pourraient lui envier
son insatiable curiosité, qui touchait à tous les domaines, son enthousiasme permanent, son esprit d’entreprise. Autant de traits si bien résumés par le titre même de son association (« De
quoi j’me mêle »)….c’est à dire : je m’intéresse à tout ce qui fait la vie, pour comprendre, pour débattre, pour expliquer, pour agir…
Colette, c’était une femme de convictions. Des convictions fortes et pas seulement, comme on le voit trop souvent des mots,
contredits par les actes,. Toute jeune, elle montrera son courage dans son engagement dans la Résistance. Puis, jusqu’à la fin, elle affichera un engagement politique sans faille, au service d’un
socialisme humaniste, fidèle au message du grand Jaurès.
Colette, c’était un caractère aimable, souriant, une bonne humeur permanente et cela malgré les épreuves de la vie, qu’elle a
traversées avec beaucoup de dignité.
Colette, c’était la fidélité en amitié. Bien précieux, parce que rare. Une amitié dont je m’honorais et qu’elle me manifestait
fréquemment.
La disparition de Colette est une perte pour sa famille et ses 7 enfants, auxquels elle tenait tant, pour ses amis, qui l’aimaient et
l’admiraient beaucoup, mais aussi pour Carmaux, cette ville à laquelle elle était attachée et qui va découvrir que, plus que d’autres peut-être, elle est irremplaçable. En tout cas, Colette
laissera ici non seulement des souvenirs, mais une leçon de vie, pour nous tous et surtout pour les jeunes, qui peuvent s’inspirer de tels exemples.
C’est pour cela que j’ai pensé lui rendre un dernier hommage en lisant
quelques extraits du remarquable « discours à la jeunesse » prononcé par Jean Jaurès devant les lycéens d’Albi le 30 juillet 1903. Il n’a pas pris une ride et il
correspond, vous allez l’entendre, tellement bien aux convictions, aux valeurs et à l’engagement de Colette !
" C’est une grande joie pour moi de me retrouver en ce lycée d’Albi et d’y reprendre un instant la parole. Grande
joie nuancée d’un peu de mélancolie ; car lorsqu’on revient à de longs intervalles, on mesure soudain ce que l’insensible fuite des jours a ôté de nous pour le donner au passé. Le temps nous
avait dérobés à nous-mêmes, parcelle à parcelle, et tout à coup c’est un gros bloc de notre vie que nous voyons loin de nous. La longue fourmilière des minutes emportant chacune un grain chemine
silencieusement, et un beau soir le grenier est vide.
Mais qu’importe que le temps nous retire notre force peu à peu, s’il l’utilise obscurément pour des œuvres vastes en qui survit quelque chose de
nous? (…….)
Oui, les hommes qui ont confiance en l’homme (…) sont résignés d’avance à ne voir qu’une réalisation incomplète de leur vaste idéal, qui lui-même sera
dépassé ; ou plutôt ils se félicitent que toutes les possibilités humaines ne se manifestent point dans les limites étroites de leur vie. (…)
Et ils affirment, avec une certitude qui ne fléchit pas, qu’il vaut la peine de penser et d’agir, que l’effort humain vers la clarté et le droit n’est
jamais perdu. L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir.
Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance. Instituer la République, c’est proclamer que des millions
d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que
leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la
République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de
temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. (….)
Rien n’est plus menteur que le vieil adage pessimiste et réactionnaire de l’Ecclésiaste désabusé : “ Il n’y rien de nouveau sous le soleil ”. Le soleil
lui-même a été jadis une nouveauté, et la terre fut une nouveauté, et l’homme fut une nouveauté. L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpétuelle évolution est une
perpétuelle création.(……)
Surtout, qu’on ne nous accuse point d’abaisser et d’énerver les courages. L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à
tuer éternellement.
Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se
flatter qu’elle éclatera sur d’autres. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme,
et cela en est l’abdication.
Le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la
vie. Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; c’est de garder dans les lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action. Le courage dans
le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit ; c’est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ;
c’est de devenir, autant que l’on peut, un technicien accompli ; c’est d’accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l’action utile, et cependant
de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendues.
Le courage, c’est d’être tout ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la
préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale. Le courage, c’est de surveiller exactement sa machine à filer ou à tisser, pour qu’aucun fil ne se casse,
et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés. Le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la
vie fait à la science et à l’art, d’accueillir, d’explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant d’éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales,
de l’organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes.
Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin.
Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se
donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense.
Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre
âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.
Ah ! vraiment, comme notre conception de la vie est pauvre, comme notre science de vivre est courte, si nous croyons que, la guerre abolie, les occasions
manqueront aux hommes d’exercer et d’éprouver leur courage (…)
Et vous, jeunes gens, vous voulez que votre vie soit vivante, sincère et pleine. C’est pourquoi je vous ai dit, comme à des hommes, quelques-unes des
choses que je portais en moi."
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Lire aussi l'article de la Dépêche du Midi