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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Il y a 40 ans, retour à Solférino

Publié le 9 Mai 2021 par Paul Quilès in politique française, PS

Il y a 40 ans, retour à Solférino

10 mai 1981, 23 heures 30, place de la Bastille.

* L'orage approche. Les techniciens, craignant les courts-circuits, sont inquiets. Huguette Bouchardeau insiste pour prendre la parole et Claude Villers lui passe le micro. La secrétaire du Parti socialiste unifié (PSU), petit parti qui a perdu de son aura et de ses effectifs depuis que Michel Rocard a rallié le Parti socialiste en 1974, se lance dans une assez longue intervention. Cheveux au vent, son sac en bandoulière sur son imperméable blanc, elle aborde les thèmes chers à son parti, dénonçant notamment « le pouvoir nucléaire » et appelant à une véritable égalité entre hommes et femmes.

Les premières gouttes de pluie ne l’impressionnant pas, je dois presque la tirer par la manche et je lui dis finalement en riant : "Arrête ! Tu fais pleuvoir". Elle conclut avec humour : "Allez, c’est le ciel qui arrose la victoire !", avant de me rendre le micro.

Il est près de minuit. Les émissions spéciales des trois chaînes de télévision vont s’arrêter. Les dernières images qu’elles donnent sont celles de la fête de la Bastille, dont les journalistes annoncent qu’elle a rassemblé plus de deux cent mille participants. On ne connaîtra pas, ce soir-là, les "chiffres de la police", mais je pense que les commentateurs se sont autocensurés (par habitude ?), car au plus fort de la fête, pour occuper tout l’espace de la place de la Bastille et de ses abords – le boulevard Richard Lenoir, les rues Saint-Honoré, Saint-Antoine, de la Roquette, de Lyon, le boulevard Diderot –, probablement près de cinq cent mille personnes se sont rassemblées ce soir du 10 mai 1981.

Je décide de retourner au siège de la campagne, à Solférino, où devrait revenir François Mitterrand. Les rues sont envahies par des groupes joyeux et bruyants, malgré des tornades de pluie, qui ne douchent pas leur enthousiasme. Je commence à ressentir une fatigue bien compréhensible après tant d’émotions et de moments forts. J’ignore jusqu’à quelle heure vont durer les "réjouissances". Je ne sais pas non plus où se trouve François Mitterrand, qui a quitté Château-Chinon vers 22 heures 30, en voiture, avec son épouse Danièle, après son allocution. Il devait être pris en charge par deux motards au péage de Fleury, mais a sans doute dû traverser le violent orage qui vient de s’abattre sur Paris.

A 1 heure 30 du matin, le cortège arrive enfin rue de Solférino. Certains militants et sympathisants, qui l’attendaient depuis 20 heures, découragés, ont quitté les lieux, mais c’est encore une assistance bien garnie qui l’accueille, dans une belle bousculade. François Mitterrand, l’air grave, traverse le chapiteau de la cour intérieure, puis la salle de presse et monte immédiatement dans son bureau du premier étage.

J’assiste alors à une scène étrange, bien différente de l’ambiance que j’ai connue autour de lui pendant cette campagne. Assis dans un fauteuil, il est entouré de nombreuses personnes, qui l’interrogent, le congratulent, l’écoutent raconter des anecdotes. Lui, souriant et enfin détendu, semble apprécier ces échanges.

Je connais la plupart des hommes et des femmes présents en cet instant autour de lui et je vois bien qu’ils sont tous sincèrement émus, mais je ne peux m’empêcher de trouver qu’ils font preuve d’une révérence nouvelle. Ce constat me refroidit un peu. J’ai l’impression que le rapport qui s’est instauré – en tout cas pour ce qui me concerne – avec le combattant à la conquête du pouvoir, vient de laisser la place à une nouvelle relation. Il va falloir que je m’y fasse : c’est une autre période qui commence et peut-être suis-je déjà en train d’observer les effets du pouvoir sur le comportement des hommes et des femmes.

Bien sûr, je suis heureux d’avoir participé à cette belle aventure aux côtés de François Mitterrand, avec la responsabilité qu’il m’a confiée et d’avoir pu contribuer à la victoire de la gauche. J’éprouve cependant un sentiment de soulagement mêlé d’une certaine tristesse, comme celle qu’on peut ressentir à la fin d’un combat exaltant et intense qui se termine. Toutefois, je me dis que, malgré l’inévitable révérence dont je viens de prendre conscience, mes relations avec lui devront rester empreintes de cette franchise sans laquelle je n’envisage pas de travailler auprès de lui.

Nous sommes désormais le 11 mai. Il est 2 heures 30 du matin et une petite foule est encore là, à attendre le nouveau président. Quand celui-ci sort de l’immeuble, on l’entend à nouveau scander : "Mitterrand, Mitterrand, Mitterrand" et "On a gagné !", comme si elle ne s’en lassait pas… Malgré la cohue, la voiture, précédée de motards, peut enfin quitter la rue de Solférino pour regagner la rue de Bièvre, où se trouve le domicile de François Mitterrand. *

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* Extraits du livre que j'ai écrit avec Béatrice Marre "On a repris la Bastille- 10 mai 1981"

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