Député de la circonscription de Jaurès pendant 14 ans, j’ai été saisi par une bouffée de colère et d’indignation en apercevant l’affiche du Front national apposée à Carmaux dans le
cadre des élections européennes. On y voit une photo du grand tribun socialiste titrée « Jaurès aurait voté Front national » et une citation : « A celui qui n’a plus rien, la
Patrie est son seul bien ».
On savait la droite prompte à utiliser la mémoire des grands hommes de gauche en
période électorale, pour tenter de récupérer des voix. On se souvient du maître en la matière, N. Sarkozy, qui n’hésita pas à citer Jaurès pas moins de 32 fois dans un discours à Toulouse le 12
avril 2007 ou qui utilisa abondamment la référence au sacrifice du communiste Guy Mocquet! Cette
fois-ci, avec l’affiche ignominieuse du FN, on bat les records….
Je me suis d’abord dit que la ficelle était tellement grosse qu’il valait mieux ne pas y prêter attention. Mais, me souvenant de
l’épouvantable conseil, trop souvent suivi par certains dans le monde politique « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! », je préfère tout simplement opposer la
vérité historique à cette grossière tentative de récupération.
Lorsque nous avons organisé à Carmaux le spectacle « Ils ont tué Jaurès » à l’occasion du 80ème anniversaire de sa mort,
François Mitterrand nous avait adressé un message, dans lequel il nous conseillait de «toujours revenir à Jaurès, à ses actes, à sa parole », en nous rappelant aussi que « Jaurès fut
l’homme de l’Europe » et qu’en 1901, il avait déclaré : « ce serait la plus grande joie de ma vie que de vivre le jour où l’Allemagne démocratique été la France démocratique se
tiendront les mains pour la réconciliation éternelle et la paix dans le monde ». Cette passion de l’Europe fut pour lui une passion de la paix et elle lui coûta la vie.
Européen et internationaliste, Jaurès mettait en avant la nécessité de la patrie dans le combat pour l’émancipation de l’homme, mais sa
conception était aux antipodes du nationalisme belliqueux fait de divisions, de haines recuites et de rejet de l’autre que véhicule le FN. Pour s’en convaincre, je conseille la lecture de son
fameux ouvrage « l’Armée nouvelle », publié en 1910, dont voici un court extrait :
« Quand on dit que la révolution sociale et internationale supprime les patries, que veut-on dire ? Prétend-on que la transformation d’une société doit s’accomplir de
dehors et par une violence extérieure ? Ce serait la négation de toute la pensée socialiste, qui affirme qu’une société nouvelle ne peut surgir que si les éléments en ont été déjà préparés par la
société présente. Dès lors, l’action révolutionnaire et internationale, universelle portera nécessairement la marque de toutes les réalités nationales. Elle aura à combattre, dans chaque pays,
des difficultés particulières ; elle aura, en chaque pays, pour combattre ces difficultés, des ressources particulières, les forces propres de l’histoire nationale, du génie national. L’heure est
passée où les utopistes considéraient le communisme comme une plante artificielle qu’on pouvait faire fleurir à volonté, sous un climat choisi par un chef de secte. Il n’y a plus d’Icaries. Le
socialisme ne se sépare plus de la vie, il ne se sépare plus de la nation. Il ne déserte pas la patrie ; il se sert de la patrie elle même pour la transformer et pour l’agrandir.
L’internationalisme abstrait et anarchisant qui ferait fi des conditions de lutte, d’action, d’évolution de chaque groupement historique ne serait plus qu’une Icarie, plus factice encore que
l’autre et plus démodée. »