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Le blog de Paul Quilès

Réflexions et informations sur la paix et le désarmement nucléaire, sur la démocratie et sur l'actualité politique.

Europe: retour sur un écrit d'il y a 10 ans

Publié le 28 Mai 2015 par Paul Quilès in Europe

Europe: retour sur un écrit d'il y a 10 ans

      Il y aura 10 ans demain, 55% des électeurs français disaient NON au projet de Constitution européenne.

 

     J'ai retrouvé ce très intéressant article que j'avais publié quelques mois plus tôt dans Le Monde

 

      J'étais en excellente compagnie, puisque les signataires en étaient: Jean-Pierre Balligand, Didier Migaud, Paul Quilès, Manuel Valls, députés socialistes ; André Laignel, Marie Noëlle Lienemann, députés européens socialistes.

 

      Cette analyse me semble garder toute sa pertinence aujourd'hui, alors que, chaque jour, des doutes sont émis sur le fonctionnement de l'Union européenne.

 

     A relire absolument, notamment par les signataires!

 

*****************

Projet de Constitution :
plutôt non, pour une vraie ambition européenne

 

Le projet de Constitution européenne est-il vraiment « bon pour l’Europe et bon pour la France », comme l’a hâtivement affirmé le Président de la République ?

 

Nous allons nous poser sereinement cette question pour éclairer un débat, qui ne saurait se réduire à une confrontation de réflexes conditionnés.

                

1) - On nous dit qu’un vote négatif provoquerait le chaos et que ce texte représente un progrès par rapport aux terribles modalités de fonctionnement élaborées à Nice.

 

Si ce texte, qui s’appliquera, quoi qu’il arrive, jusqu’à la fin 2009, était si mauvais, pourquoi l’avoir ratifié? Au moment de voter une Constitution qui nous engagera durablement, une question mérite d’être posée : doit-on voter oui coûte que coûte, au seul motif que l’essentiel est d’avancer ? Après cinquante années de construction européenne, nous pensons que l’essentiel est plutôt de savoir désormais où l’on souhaite aller.

 

2) - On nous dit qu’il faut voter oui parce que ce texte n’est qu’une sorte de règlement intérieur, qui ne mérite ni excès d’honneur ni excès d’indignité.

 

Il s’agit pourtant bien d’un « traité établissant une Constitution pour l’Europe » et non d’un simple règlement intérieur, comme certains voudraient le faire croire. Curieusement, ce sont les mêmes qui demandent un référendum et qui souhaitent qu’il ait lieu de façon solennelle le même jour dans chaque pays de l’Union. Tout cela pour un simple règlement intérieur ?

 

Il est d’ailleurs paradoxal que ceux qui minimisent la portée de ce texte soient aussi ceux qui maximisent les conséquences d’un vote négatif des socialistes ou de la France ! Pourquoi le chaos et l’apocalypse viendraient-ils de la non ratification d’un simple règlement intérieur ?

 

3) - On nous dit qu’il faut voter oui pour éviter le risque de l’isolement, pour ne pas apparaître anti-européen et pour ne pas trahir la mémoire de ceux qui ont œuvré pour la cause européenne.

 

Si l’amour rend parfois aveugle, les convictions politiques se doivent, elles, d’être éclairées par la réflexion. Pour notre part, nous avons toujours, dans l’exercice de nos responsabilités, démontré notre adhésion sincère à l’Europe. Nous avons voté oui au référendum de 1992. Attachés au processus de construction européenne, nous sommes convaincus qu’il échouera s’il se forge contre l’aspiration des peuples.

 

Quant au risque de l’isolement, nous pensons qu’il vaut mieux l’assumer plutôt que de se résigner. De plus, nous voulons croire que la France possède encore une certaine influence sur le destin de l’Union européenne, qui ne pourra se construire contre la volonté de la France, si celle-ci est suffisamment affirmée.

 

4) - On nous dit qu’il faut voter oui car il est trop tard pour modifier les choses ; la réalité doit s’imposer à nous.

 

Ce discours n’est pas acceptable pour des démocrates. L’accord de Bruxelles a supprimé en dernière minute certaines dispositions essentielles du projet de la Convention, sous la pression des eurosceptiques. Nous ne l’acceptons pas ! Pas plus que la passivité coupable de Jacques Chirac, dont les deux mandats n’auront été marqués par aucune initiative personnelle synonyme de progrès pour la construction européenne.

 

Quant à la « réalité » qui s’imposera à nous, c’est celle qui se dégagera des urnes, et dont les chefs d’Etat devront tenir compte. D’ici à la fin 2009, date d’entrée en vigueur prévue de la Constitution, nous avons parfaitement le temps d’améliorer le projet adopté à Bruxelles.

 

5) - On nous dit qu’il faut voter oui, parce que ce texte n’est qu’une étape et qu’il sera perfectible.

 

Ceci n’est pas exact, car ce traité risque de nous engager pour des décennies. Maastricht ouvrait la perspective de la monnaie unique, Amsterdam celle du sommet social et de la CIG. Nice prévoyait la Convention pour préparer le texte de la Constitution. Désormais, aucune étape supplémentaire n’est prévue et les Etats membres ne partagent plus les mêmes objectifs. Pire, les conditions de révision de ce texte sont quasiment impossibles à atteindre. Ce qui sera gravé dans le marbre le sera pour longtemps. Raison de plus pour ne pas se tromper.

 

6)- On nous dit que la règle de l’unanimité n’empêche pas l’Europe de progresser

 

Mais cette règle est requise notamment pour toute décision en matière fiscale. Or le fiscal tient tout : le social comme le budget de l’Union.

 

L’unanimité en matière fiscale, ainsi que les modalités de prise de décision à la majorité qualifiée finalement retenues, constituent un recul de l’esprit communautaire inacceptable. Cette exigence va affaiblir et paralyser l’Union européenne. Elle est en effet rédhibitoire pour qui voudrait lutter contre le dumping fiscal ou orienter le budget européen vers plus de croissance et de solidarité. Il s’agit pourtant là d’objectifs que se fixent les socialistes, mais qui ne sont plus crédibles si l’on accorde un droit de veto à chaque pays.

 

Pour vraiment lutter contre le dumping fiscal et social, il faut retirer le droit de veto accordé à chaque pays en matière fiscale.

 

Pour vraiment lutter contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale, il faut supprimer les législations fondées sur le secret bancaire au coeur de l’Union européenne. Malheureusement, la timide avancée proposée par la Convention (décision à la majorité qualifiée en matière de fraude fiscale) a été rayée d’un trait de plume à Bruxelles.

 

Pour vraiment orienter le budget de l’Union européenne vers la croissance et la solidarité, il faut créer un impôt européen sur les sociétés indispensable à la dynamique de l’Union.

 

Autant d’objectifs impossibles à atteindre avec la règle de l’unanimité, puisque certains pays fondent précisément leur stratégie de croissance sur le dumping fiscal.

 

7) - On nous dit qu’il ne faut pas sous estimer les aspects tactiques

 

Parce que le non ferait le jeu de certains courants du Parti socialiste, il faudrait dire oui sans réfléchir ! Parce que le oui ferait le jeu de Jacques Chirac, il faudrait nécessairement dire non ! Ne soyons pas naïfs, celui-ci utilisera notre vote, quel qu’il soit. L’idéal européen mérite mieux que ces approximations.

 

Pour nous, l’essentiel n’est pas là. Il s’agit de retrouver l’esprit et la vision des pères fondateurs de l’Europe.

 

Commençons par revenir aux deux premières parties du texte rédigé par la Convention pour l’avenir de l’Europe, qui sont beaucoup plus proches de l’esprit communautaire, notamment en ce qui concerne la règle de l’unanimité ou les modalités de vote à la majorité qualifiée.

 

Soumettons ensuite le nouveau projet à une assemblée constituante, et non aux seuls chefs d’Etats. Cette assemblée pourrait être composée de délégations des parlements nationaux, qui rejoindraient le Parlement européen pour examiner le nouveau projet de constitution et l’amender si nécessaire.

 

Enfin, soumettons la ratification à un référendum européen organisé simultanément dans chaque pays de l’Union.

 

Nous pensons plus fondamentalement qu’il faudrait relancer la construction européenne par la création d’un coeur, l’Europe unie, portant un projet politique et permettant d’aller plus loin en matière d’harmonisation fiscale et de législation sociale.

 

C’est ainsi, selon nous, que l’on évitera le dévoiement du projet européen et que l’on refondera l’ambition européenne.

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